Bracke


Klabund

16,00 €
Traducteur : Jacques Meunier "Une puissance incantatoire, une musculature percutante, une lecture incroyablement incisive, lyrique et prophétique de l’Histoire." J-PH Mestre. Le Progrès de Lyon. Klabund, grand écrivain allemand du XXème siècle, emporté à trente-six ans, en 1928, par la tuberculose, a laissé une oeuvre aussi considérable que bouleversante, dont Bracke est l'un des textes les plus saisissants. Qui est Bracke ? Un ange tombé sur terre ? Un voyou ? Un simple coureur de vitesse ? Il parle à son ombre, aux serpents et aux chats. Pour lui les épouvantails s'animent et le Juif Errant lui raconte ses vingt siècles d'errance. Quand un feu follet persécute les humains, il le saisit à la gorge et le ramène dans le droit chemin : "Je veux te sauver, feu follet, mirage, pour qu'à l'avenir tu puisses briller dans la tranquillité et la vérité." Bracke délivre ses concitoyens de la peste, de la vermine et des inondations. Ils reconnaissent en lui la voix de Dieu. Il veut aimer et ne pas être aimé, par peur de ne pas trouver un coeur à sa mesure.
L'auteur

Klabund est le pseudonyme d’Alfred Henschke, écrivain allemand né le 4 novembre 1891 à Crossen sur l’Oder et mort à Davos le 14 août 1928. Fils d’un pharmacien, il passa sa jeunesse à Crossen. A seize ans, il fut atteint de tuberculose, ce qui lui valut de nombreux séjours en sanatorium et sans doute influença sa production littéraire, poésie, romans, pièces en prose, théâtre, adaptations et travaux d’histoire littéraire, ne fût-ce que dans son ampleur. En quinze ans, en effet, Klabund bâtit une œuvre dont s’enorgueilliraient bien des écrivains pourtant prolifiques. Au lycée de Francfort-sur-l’Oder, il se lie d’amitié avec le futur poète Gottfried Benn. En 1911, il entreprend des études de philosophie et de littérature à Munich, ne les achève pas, se rend ensuite à Berlin et à Lausanne et dès lors gagne sa vie comme écrivain indépendant entre ces trois villes. Son premier recueil de poésies, Morgenrot! Klabund! Die Tage dammern! paraît en 1913 à Munich, grâce à Artur Kutscher et affirme déjà un style inclassable. Klabund y rompt radicalement avec l’impressionnisme et particulièrement le naturalisme ambiant. On y pressent déjà cette pratique de la rupture dans le discours et ce lyrisme exacerbé qui évoqueront si souvent à son sujet le terme d’"expressionnisme". C’est Alfred Kerr qui le révèle au public la même année dans sa revue Pan avec des poèmes érotiques délibérément provocateurs. Auteur et éditeur finiront devant les tribunaux. Du jour au lendemain, Klabund est célèbre. L’esclandre lui ouvre les portes de nombreux journaux et revues. La Grande Guerre marque un tournant profond dans la vision de l’histoire et du monde de Klabund ; toute son œuvre s’en ressentira. En 1914, il est d’abord emporté par la vague générale d’enthousiasme patriotique. Il ne tarde pas à changer d’avis. Son honnêteté farouche et son pacifisme s’expriment sous une forme détournée dans des adaptations magistrales de la poésie orientale, perse, chinoise, japonaise. En 1916, au noir du conflit, il traduit ainsi Li-Tai-Pe et en 1918, au cœur des remous qui suivent la défaite, enclenchent la Révolution allemande et provoqueront l’abdication du Kaiser, il publie les poésies de Geisha O-Sen. Ce "désengagement engagé", qui réflète sa distanciation à l’égard de l’histoire nationale, pour reprendre un terme de Bertold Brecht, lui sera lourdement imputé par la suite. La dernière partie de la vie de Klabund le trouve absorbé par le théâtre, sous l’influence de sa seconde femme, l’actrice Carola Neher. Il écrit de nombreuses pièces brèves. En 1925, il publie le Cercle de Craie Caucasien, d’après un poème de Li Xingdao, qui lui vaudra un immense succès et que reprendra justement Brecht, l’un de ceux qui comprirent d’emblée le génie de Klabund. Dès 1915, Klabund a multiplié les provocations et dénoncé la guerre : Moreau, qui date de cette année-là, exprime, à travers les tourments du général français, l’aversion d’un esprit lucide pour la populace meurtrière, et les recueils de poésies tels que Irene oder die Gesinnung, de 1918, et Dreiklang, de 1919, réflètent éloquemment l’exécration d’un cœur tendre pour la boucherie qui inaugure l’horreur du XXe siècle. Mais il écrit, frénétiquement, car l’horloge tourne plus vite pour lui que pour les autres. Après Moreau, c’est Bracke, 1918, Franziskus, 1919, Mohamed, 1921, Piotr, roman d’un tsar, 1923, Borgia, 1928, et de très nombreux autres récits. L’imminence de la mort n’a pas seulement prêté à Klabund "une plume pressée", elle l’a également propulsé vers une sphère supérieure : il n’habite plus l’Allemagne, mais le monde, l’histoire. "Mon nom est Klabund, c’est-à-dire errance". L’exceptionnelle modernité qui est la sienne tient à ce rejet irrépressible de son époque, car il appartient à la génération qui a subi dans sa jeunesse l’étouffoir de la société impériale, comme son compatriote Gottfried Benn (1886-1956), comme l’Autrichien Georg Trakl (1887-1914), dont il est si souvent si proche, comme les Pragois Franz Werfel (1890-1945) et Franz Kafka (1883-1924), et comme la poétesse Else Lasker-Schüler (1869-1945). Sa musique, car une musique se dégage irrésistiblement de tous ses textes, évoque étrangement celle de Gustav Mahler (1860-1911) et ses images, celle d’une autre victime du totalitarisme impérial, Egon Schiele (1890-1918). Les dates ne sont pas ici données par souci universitaire, mais pour souligner leur contemporanéité : ils ont tous vécu l’horreur du Léviathan agonisant des impérialismes qui saignaient déjà le Vieux Monde et où les poètes et les écrivains étaient des exilés de l’intérieur : leur œuvre est le cri de la douleur du monde. Champs de bataille, cadavres, morgues, hôpitaux et villes changées en coupe-gorge sont le théâtre de leur angoisse. Mais Klabund n’est pas seulement un témoin-clef de l’"Histoire philosophique de l’Occident" : il est aussi un maître et, en dépit des convulsions qui l’entourent, il est reconnu comme tel, autant par la profondeur psychologique que par le style. Il jouit d’une immense réputation dans l’Allemagne d’avant la Seconde guerre mondiale. On reconnaît son influence sur Gottfried Benn, mais aussi sur Bertold Brecht et peut-être même Günther Grass, en dépit de l’allégeance que celui-ci déclare à un autre maître, Theodor Fontane. Nul écrivain n’y échappera : ni ceux du Groupe 47, ni une Ingeborg Bachmann, ni sans doute un Paul Celan. La rhétorique belletristik est sabrée au profit de l’efficacité. Dans leur modernité, leur intuition du montage et du rythme, tous les textes de Klabund sont cinématographiques, et il s’essaiera d’ailleurs au scénario, comme dans Raspoutine (1928). Quand il meurt, à trente-huit ans, c’est son ami Gottfried Benn qui prononce l’oraison funèbre du "Vagabond céleste" (reprenant le titre d’une poésie datant de 1919). "Aux antipodes d’un monde utilitariste et opportuniste", écrit le poète, "d’un monde d’existences assurées, de fonctions, d’honneurs et de positions assurées, il n’avait pour lui que sa foi et son cœur." La renommée de Klabund survit à travers la République de Weimar. Mais le nazisme oblitérera Klabund du paysage littéraire allemand. On devine aisément pourquoi à la lecture des deux textes présentés ici en "première" au public français.

168 pages | ISBN : 9782914388252

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